Interview – Audrey Bigot – Designer
Audrey Bigot, diplômée de l’ESAD de Reims, est une jeune designer indépendante. Exposée en ce moment au VIA en tant que jeune talent, elle propose une vision responsable par des objets simples et réfléchis. Attachée à la manière dont ils influent sur nos modes de vie, elle fait des aliments et de leur cuisine un axe de travail majeur pour faire évoluer nos modes de consommation.
Volcan Design : La pratique du design contient de multiples facettes, comment la qualifieriez-vous ?
Audrey Bigot : J’oriente mon travail en fonction d’un questionnement éthique qui me convient. Le plus important pour moi est de travailler sur des projets qui influent positivement sur nos modes de vie. Étant donné le contexte actuel, je ne peux pas exercer ma pratique de designer sans me poser la question de savoir quel impact l’objet aura dans son environnement, qu’il soit naturel ou sociétal. Je ne dessine pas un type d’objet spécifique mais je travaille plutôt avec des problématiques liées à l’économie d’énergie ou à la valorisation de solutions alternatives.
Les adopter ne devrait pas être une contrainte si l’on développe des objets qui ne rendent pas notre quotidien moins confortable. C’est un peu le travail que j’ai fait avec la conservation des légumes, si l’on veut conserver différemment, il faut avoir de nouveaux objets qui n’existent pas pour l’instant. Il est tout à fait possible de faire soi-même avec 2 pots en terre cuite mon rafraîchisseur de légumes, mais c’est moins hygiénique et tout le contenu s’écrase. Il est donc impossible de changer les choses sans proposer aux gens une autre solution qui sera tout aussi viable et acceptable que celle que l’on a déjà.
VD : 7 de vos projets traitent de la conservation et de la culture des aliments, d’où vient cette attention particulière ? Plus précisément comment le projet de l’Îlot est-il né ?
AB : Durant mes années d’études beaucoup de choses me posaient problème dans le design. Souvent je me suis dit si être designer c’est juste faire des chaises, alors ça ne me convient pas. Les recherches sur la conservation et la cuisson des aliments pour mon mémoire ont été le moyen d’exorciser cela, en trouvant une autre manière d’exercer cette discipline par le questionnement des notions de valeurs et d’éthiques avec la valeur marchande, les valeurs quantitatives et qualitatives. L’exemple de l’alimentation revenait souvent car c’est la seule consommation où l’on a vraiment le choix de ce que l’on peut acheter. Si l’on a envie de manger selon des croyances religieuses, selon des choix politiques en ou si on préfère la Junk Food et les nouilles instantanées, eh bien on peut ! La cuisine est équipée de la même manière chez tout le monde avec un four, une micro-onde ou un frigo et je trouvais cette finalité assez absurde lorsqu’on choisit de faire attention à l’impact de notre alimentation en mangeant local, de saison ou bio par exemple. C’est ainsi que je me suis intéressée à un équipement qui valorise le fait de cuisiner sans gaspiller, et qui aide à une meilleure conservation des aliments.
VD : Étant concernée par la pérennité de l’aliment dans notre habitat, pensez-vous qu’il soit le reflet de notre manière générale de consommer ?
AB : Je pense qu’il en est le reflet, car quand on se pose des questions sur notre mode de vie, cela passe souvent par ce que l’on mange qui influe sur notre santé et notre bien-être. La nourriture est ce qu’on absorbe le plus, même quand on ne veut pas, celle-ci est obligatoirement présente. Consommer mieux nous amène à l’appliquer pour d’autres domaines comme le vêtement par exemple, qui est aussi un besoin dans nos sociétés.
VD : Pourquoi selon vous l’alimentaire est-il un acteur important du développement durable ?
AB : On sait que c’est la cause de beaucoup de pollution tant dans la production que le transport, c’est aussi la cause de problèmes sociétaux quand on voit qu’on jette 40% de ce que l’on produit mais qu’il y a toujours des gens qui ne mangent pas.
Mais lorsqu’on réduit la consommation énergétique de notre cuisine c’est tout de même moindre par rapport à la dépense que cela demande avant d’arriver chez nous. On sait que ce qui pollue le plus ne sont pas les habitats personnels, mais plus les industries de manière générale. En travaillant sur le domestique, cela permet un début de prise de conscience chez les gens pour qu’ils s’engagent dans un nouveau rituel, en arrêtant de consommer un certain nombre de choses comme MacDO ou en trouvant des solutions alternatives.
Je pense que c’est en voyant que les populations ont plus conscience de ces problèmes que les industries seront amenées à changer.
VD : Comment définissez-vous le Design ? Et selon vous, est-il un acteur majeur dans l’évolution de notre société contemporaine ?
AB : Quand on me demande qu’est ce que le design je réponds que c’est le fait de concevoir. Le mot design étant un anglicisme, les gens pensent que c’est de la déco. Concevoir pour moi c’est réfléchir et penser quelque chose dans un contexte précis et pour des acteurs spécifiques que l’on redéfinit à chaque fois. Ils pensent que le design est quelque chose de nouveau, alors qu’il y a 200 ans on concevait déjà des objets, sauf que ce n’était pas les mêmes types de créateurs et qu’on les appelait des artisans par exemple.
En temps que designer on a des responsabilités, tout d’abord envers la personne à qui on fournit ou vend un objet de par sa qualité et qui doit correspondre à ses besoins. De plus, on est à un croisement de nos sociétés où il y a plusieurs pistes possibles avec des réponses ultra high-tech mais qui relèvent des ressources fossiles. Je pense donc qu’il faut essayer de faire mieux, avec moins de choses, en étant un peu plus efficace. J’essaye de réfléchir à la typologie de l’objet avant de penser à l’objet en lui-même, car juste proposer un portable eco-friendly en lui mettant un coque en bois ne rime à rien. Je ne dis pas que j’y arrive à chaque fois et que c’est simple, mais je tente le plus possible de faire des collaborations qui me permettent d’avancer vers des solutions responsables.