6 chantiers clés pour la renaissance des magasins physiques
Article paru dans Les Échos du 29 août 2017, et rédigé par Christophe Anjolras, PDG de Volcan Design.
À retrouver en intégralité sur le site de Les Échos.
LE CERCLE/POINT DE VUE – Dans un paysage retail totalement chahuté par la transformation des modes de consommation et la rupture des business modèles traditionnels, réinventer les points de vente physiques devient pour les enseignes une question de survie.
Le paysage du retail traverse une période de très grands bouleversements. On assiste tout à la fois à une grande accélération de l’évolution des modes et attitudes de consommation et une déstabilisation des business modèles traditionnels.
Aux États-Unis, il a seulement fallu 15 ans à Amazon pour devenir numéro 1 des ventes de mode devant Macy’s, première enseigne de grands magasins aux États-Unis. Entre 2005 et 2015, le chiffre d’affaires des grands magasins aux Etats-Unis a globalement chuté de -31 % passant de 87 milliards de dollars à 60 milliards de dollars. Et ce, alors que le commerce du retail est globalement sur cette période en croissance de +17 % aux États-Unis.
Dans le même temps aux USA, la fréquentation des centres commerciaux a baissé de -60 %, passant de 40 milliards à 16 milliards d’entrées et on estime aujourd’hui que 20 % environ des galeries marchandes devraient fermer dans les 5 ans et 8.600 points de vente devraient fermer en 2017.
Ce sont des chiffres jamais vus. Ce phénomène de cristallisation est d’une extrême puissance et brutalité. Le secteur de la mode est particulièrement touché et de très nombreuses enseignes souffrent : JC Penney, Sears, Gap, Ralph Lauren, J Crew… ou sont mises en dépôt de bilan : Sport Authority, Aéropostale, American Apparel , BCBG Max Azria,…
Les modes de consommation des clients évoluent
La raison ? Un report du commerce physique sur le commerce digital et l’apparition de nouveaux opérateurs puissants. Mais pas seulement. C’est aussi l’émergence de nouveaux modes de consommation des clients qui change la donne.
En Europe, ce mouvement est tout aussi puissant, même s’il est peut-être moins radical. Tout le monde est concerné : les hypermarchés, les grands magasins, les chaînes spécialisées, mais aussi tous les secteurs : la mode, la maison, la beauté, la culture, l’alimentaire.
Dans la mode, on peut citer les difficultés de C & A, Tati, Mim , Marks & Spencer , sur le marché français… mais aussi de grandes chaînes historiques comme Cache Cache, la Halle, Promod, Camaïeu , même si le travail réalisé sur les collections, le merchandising, les magasins commence à porter ses fruits pour ces derniers.
Beaucoup de business modèles sont remis en cause. La valorisation d’Amazon est aujourd’hui de 390 milliards de dollars et celle de Carrefour avec ses 12.000 points de vente dans le monde, de seulement 19 milliards de dollars. Nous vivons une période où le monde traditionnel s’effondre, les transformations s’accélèrent, provoquant beaucoup d’incertitudes, mais aussi beaucoup d’opportunités.
Réinventer le magasin dans un écosystème retail global
Dans ce contexte, le magasin physique en tant que lieu de la seule transaction a vécu. Il doit être réinventé en se posant la question du rôle qu’il doit jouer.
Pourquoi le géant chinois Alibaba ouvre-t-il de nouveaux concepts de magasins physiques alimentaires Hema Fresh ? Parce que le consommateur chinois, comme les autres, a besoin d’être rassuré sur un certain nombre de sujets comme la qualité, l’authenticité, la provenance, la fraîcheur des produits, la naturalité, le bio, le développement durable…. Idem pour Amazon qui a racheté aux États-Unis la chaîne de supermarchés Whole Foods Market .
Ces deux pures players que sont Alibaba et Amazon ont compris qu’au-delà de l’efficacité, de la profusion de l’offre, de la rapidité de livraison, les clients aspirent aujourd’hui à consommer autrement. Dans ces 2 cas, le magasin physique joue un rôle clé de réassurance sur des attentes et aspirations déterminantes dans la décision d’achat.
La vraie question est : comment réussir un point de vente aujourd’hui entre «digital» et «physical» ? Il n’y a pas de recette unique. Chaque marque aura sa réponse en fonction de son marché, de son propre écosystème et de sa propre culture.
Certains feront du magasin physique un lieu d’évènementialisation, de célébration ou de divertissement. Le grand magasin Le Bon marché a réussi à créer des évènements artistiques exceptionnels et spectaculaires avec les installations de l’artiste chinois Wei Wei ou de l’artiste japonaise Chiharu Shiota au coeur du magasin…
Les flagships store Nike à New York, Londres ou Tokyo permettent de glorifier, d’honorer et célébrer le football ou le basketball à travers le monde. Le magasin de jouet Hamleys crée une expérience unique de divertissement avec ses «store entertainers», «party assistants» et «demonstrators» qui accompagnent les clients tout au long du parcours.
De même, quand Hermès propose à ses clients de rapporter leurs carrés pour les sur-teindre dans une laverie HermèsMatic, la marque crée un événement éphémère et ludique autour de son produit emblématique. Le concept store mythique Colette a décidé de transformer le 1er étage de son magasin en immense pop-up cette année avant fermeture définitive.
Savoir attirer les clients sur le lieu de vente
De quoi déplacer les clients sur le lieu de vente, ce qui reste LE premier des combats. Car les études le montrent : non seulement les clients se déplacent moins, mais, s’ils le font, par exemple dans un centre commercial, ils visitent en moyenne trois ou quatre enseignes au lieu de sept ou huit auparavant.
Certains feront du magasin physique un lieu de découverte, d’essai, de comparaison des produits et de conseil associant libre découverte et vente assistée. Le nouveau concept de magasin de Sonos à New York ou de Devialet à Hong Kong permet la découverte et l’essai des produits en autonomie avec toujours plus de confort. Certains concepts maison comme Pirch à New York ou mode comme l’Appartement de Sézanne à Paris transforment le magasin en showroom sans stock disponible au retrait immédiat.
Les nouveaux développements en réalité immersive avec casque permettent aujourd’hui de visualiser une chambre d’hôtel ou une cuisine en mode immersif en hyper réalisme et devraient transformer la façon de choisir une cuisine dans une enseigne de meuble ou de bricolage ou une chambre dans l’hôtellerie.
Certains feront du magasin physique un lieu de culture, de connaissance et d’apprentissage. Apple, dans son nouveau concept de magasin, a implanté un espace évènementiel de conférence, de présentation et de rencontre appelé le Forum et a transformé le légendaire Genius Bar en Genius Grove, qui permet de rencontrer des Genius sur rendez-vous sous des arbres.
L’enseigne Eataly dans l’alimentaire a crée un concept hybride unique mixant restaurant et linéaires traditionnels de produits, mais aussi laissant une place considérable aux écoles de cuisine réservées aux particuliers ainsi qu’aux professionnels comme à Rome au dernier étage de son magasin de 17.000 m2.
Certains feront du magasin physique un point de service et de conseil. Click and Collect, Click and Reserve, On Demand Delivery, Reservation and Repair. Amazon a lancé son concept de «Instant Picker» sur certains campus US avec 100 produits disponibles par retrait en casier sur le modèle des «Amazon Locker».
E.Leclerc a lancé un Drive Piéton de 50 m2 dans le centre-ville de Lille. Best Buy a lancé à New York Chloé un concept retail unique de retrait de CD, DVD, jeux vidéo et petits produits électroniques sur 35 m2 avec un robot automatisé ouvert 24/24 et 7/7.
Certains feront du magasin un lieu de fédérateur d’une communauté. L’enseigne canadienne Lululemon Athletica a été la première à fédérer une communauté locale dans ses magasins présentant dans les visuels en magasin des professeurs locaux de yoga, de fitness, de running, partageant les adresses des salles de sport, des restaurants diététiques… du quartier autour des magasins, organisant des cours de yoga, de fitness, des entrainements de running… pour la communauté.
Créer une tension positive
Il faut créer une dynamique dans les points de vente. C’est la fameuse «théorie de la fluence» selon laquelle on préfère ce qui est simple à ce qui est compliqué, mais, si les choses sont trop simples, on finit par penser qu’elles n’ont plus d’intérêt.
C’est la même chose en retail : s’il n’y a ni tension ni excitation, les clients se lassent et n’achètent pas. Il faut donc créer une tension permanente dite «positive» qui suscite l’intérêt et éveille la curiosité des clients tout en clarifiant l’offre et en facilitant l’achat. C’est tout l’art et toute la difficulté du merchandising et du retail design.
Nous sommes à la croisée des chemins entre apocalypse et renaissance. Beaucoup d’initiatives ont été lancées, mais nous avons la conviction que la renaissance des magasins physiques passe par une approche merchandising & design innovante sur ces 6 chantiers clés :
– l’expression renouvelée et actualisée d’un imaginaire de marque inspirant,
– une nouvelle façon de penser la curation de l’offre,
– inventer de nouveaux concepts en terme de formats et d’emplacements,
– inventer de nouveaux scenarii de vente,
– enrichir l’expérience client de découverte, d’appropriation et d’essai des produits,
– créer et animer une communauté autour de la marque.